Le marchéage de la marque

 

            L’école traditionnelle américaine distingue quatre variables nécessaires à l’élaboration d’un plan de marchéage. Désormais, une part de l’école française contemporaine, à l’écoute des multiples évolutions des sociétés post-modernes, propose un marchéage élargi reposant sur sept variables fondamentales (5p2i). Le marketing mix élargi est global : il est élaboré à partir du positionnement et de l’identité de la marque.

 

I. Identité de la marque

1) Qu’est-ce que l’identité ?

Paul Ricœur précise que l’identité désigne ce qui est tout à fait semblable et qui demeure le même à travers le temps : idem, le même, et ipse, la continuité.

L’identité ne peut être confondue avec la ressemblance. Pour être identiques deux éléments devraient être indiscernables. Ainsi, l’identité désigne une réalité unique et singulière. Pour autant, chaque identité est plurielle, variable, mouvante, évolutive. Elle présente de multiples facettes.

 

2) Chaque marque est une mythologie

            Une marque s’exprime à travers son offre (produits et services), son histoire, sa culture, ses employés, ses clients, ses communications, etc. Toutes ces formes d’expression créent l’univers de la marque, son identité. Une marque est un ensemble qui fait sens autour d’une légende, réelle ou inventée. L’identité de la marque naît de la convergence de certains mythes spécifiques. Elle se décline à travers trois grandes familles d’identifiants ou de valeurs (voir La dynamique de la marque).

 

  1. Les identifiants fondateurs constituent le noyau. Ce sont les caractéristiques essentielles de la marque ; sans elles, il serait impossible de la définir, de la reconnaître et de la distinguer.

 

  1. Les identifiants organisateurs correspondent à la charnière. Ils effectuent la liaison entre les caractéristiques du noyau et celles de la périphérie. Ils sont proches, voire confondus, pour les acteurs d’un même secteur d’activité.

 

  1. Les identifiants réflecteurs concernent la surface, la périphérie. Ce sont des valeurs contextuelles, changeantes, qui évoluent avec le marché (nouvelles attentes des consommateurs) et l’innovation (nouvelles technologies, lancement de nouveaux produits ou services).

 

3) Les positionnements de la marque

            Il est nécessaire de ne pas confondre le positionnement d’une marque et la position concurrentielle de l’entreprise. Certes, le premier peut fournir à l’entreprise un avantage compétitif, mais il ne désigne pas sa place dans l’univers dynamique des multiples forces en interaction sur son marché.

 

            Le positionnement correspond à la perception d’une marque et à sa représentation dans l’esprit du consommateur. Il est l’expression de l’identité de la marque. Il manifeste ou matérialise plus ou moins clairement sa mythologie. On distingue le positionnement émis (souhaité) du positionnement reçu ou perçu (réel). La tâche de l’équipe mercatique est d’accorder ces deux dynamiques.

Un bon positionnement permet à une marque de se différencier de la concurrence de façon durable. Il est :

-          simple, facile à percevoir et à mémoriser ;

-          en adéquation avec les aspirations des consommatrices et des consommateurs ;

-          singulier, original par rapport à la concurrence ;

-          crédible, en accord avec les réalités de l’offre produits et services de la marque.

 

Connaître et préciser l’identité d’une marque (voir §2) permet de définir avec justesse un positionnement souhaité en harmonie avec le positionnement réel, ainsi que d’élaborer un marchéage différencié.

En effet, lorsque le positionnement marque a été évalué à partir de l’offre et qu’il semble réaliste, il est ensuite décliné produit par produit et service par service. Il s’agit d’une approche globale qui assure la cohésion de toutes les formes d’expression de la marque. Le positionnement général permet de déterminer la mise en œuvre du marketing opérationnel de l’ensemble des lignes d’une marque.

 

 

II. Le marchéage élargi de la marque (5p2i)

1) La politique de produits et services

L’offre de la marque regroupe un ensemble de fonctionnalités qui proposent d’apporter une valeur ajoutée et de rendre des services précis à une cible donnée. Elle contribue à la satisfaction de besoins plus ou moins fondamentaux (cf. les cinq degrés de la pyramide d’Abraham Maslow). Elle est également porteuse d’une signification sociale à travers la façon dont elle est perçue (cf. Pierre Bourdieu).

 

2) La politique tarifaire

            L’évolution de la tarification globale de l’offre produits et services d’une marque repose sur un ensemble de données intriquées :

-          phase du cycle de vie et de la rentabilité relative dans le portefeuille d’activités ;

-          prix des offres concurrentes les plus proches ;

-          actions promotionnelles ponctuelles ou saisonnières ;

-          rentabilité marginale pour le producteur ;

-          utilité marginale pour le consommateur ;

-          élasticité de la demande (effet R. Giffen, entre autres) ;

-          dynamiques de groupe : prestige (T. Veblen) et imitation (J. Duesenberry).

 

3) La politique de distribution

            Il s’agit de choisir les meilleurs canaux de commercialisation pour assurer la disponibilité des produits et des services d’une marque, auprès des publics potentiellement intéressés par les caractéristiques matérielles/immatérielles de l’offre.

            La distribution est dite sélective lorsque la réponse aux attentes du marché est qualitative (focalisation, niche). La distribution intensive est une réponse quantitative pour « couvrir » le marché le plus largement possible (volume et marché de masse). Il arrive parfois que la distribution soit mixte, selon les différents aspects de l’offre.

            La mise en scène du lieu et des produits dans l’espace joue désormais un rôle important dans la distribution (cf. Alix Brijatoff).

 

4) La politique de communication

C’est l’ensemble de tous les moyens qui permettent d’informer différents publics sur l’identité d’une marque, ses valeurs et ses réalisations : vision, mission, projet(s), partenariats, initiatives en faveur de l’environnement, engagements sociaux ou humanitaires, commerce équitable, et bien sûr son offre (produits et services) à travers la présentation qu’elle en donne (emballages, par exemple)…

Il s’agit de choisir comment combiner les vecteurs de communication les plus justes en fonction du public, du message et du projet : relations presse ou relations publiques, mécénat, parrainage, publicité, mercatique directe, promotions, force de vente, etc.

La publicité n’est qu’un moyen parmi d’autres. Elle vise à faire connaître (informer), apprécier (créer une disposition favorable) et agir (inciter l’achat en renforçant des motivations ou en levant des freins). Il est nécessaire qu’elle soit visible (p. e. utilisation d’une tonalité de couleurs particulière à la marque, logo en évidence, souvent en bas à droite) et lisible (recours aux minuscules, plus faciles à déchiffrer, un seul message fondé sur une promesse réelle). Une communication n’est claire que si son intention est claire.

 

5) La politique de partenariat

Mener des actions concertées, créer des synergies et conforter ses positions pour affirmer, ou affermir, l’identité de la marque est le but des partenariats. On parle aussi de comercatique. Elle concerne autant les relations verticales (fournisseurs – sous-traitance - ou distributeurs – concession, franchise -) qu’horizontales (autres producteurs, du secteur – impartition - ou de secteurs différents – alliance -).

 

On peut distinguer trois niveaux de partenariats :

 

  1. l’alliance industrielle désigne la création commune d’une offre nouvelle (ex : Smart, Airbus)

 

  1. l’alliance commerciale correspond à la vente commune de produits ou de services (ex : Guerlain et Air France)

 

  1. l’alliance publicitaire repose sur une communication conjointe lors de lancements de produits, d’événements ou d’émissions (ex : Star académie, Nivea young et Nokia).

 

6) L’identité sensorielle

            Elle correspond à la déclinaison concrète et explicite de l’identité de la marque pour chacun des cinq sens de l’être humain. Le Diamant sensoriel ® (voir Schémas et graphiques) est un outil de mesure, et d’aide à la décision, qui permet d’évaluer la force de l’expression de l’identité de la marque pour chaque sens : toucher, odorat, goût, ouïe, vue. Il valorise les perceptions d’un échantillon représentatif des consommateurs de la marque étudiée. Il facilite a posteriori la réorganisation équilibrée de l’expression de l’identité d’une marque en fonction des cinq sens.

L’identité sensorielle a pour mission d’incarner la mythologie de chaque marque et d’affirmer clairement son positionnement (souhaité). Elle est devenue un vecteur indispensable à toute politique mercatique. Il est d’ailleurs préférable de définir les orientations de l’identité sensorielle avant de préciser les six autres variables du plan de marchéage.

 

7) L’innovation

            L’innovation est la clé de la croissance et du développement de toute entreprise, partant de l’économie (Joseph Schumpeter, 1912).

Elle constitue une nécessité transversale qui touche tous les aspects de la vie d’une entreprise et toutes les facettes de la marque : produits, services, recherche et développement, distribution, communication, force de vente, ressources humaines (cf. E. Mayo, F. Herzberg, D. MacGregor), achats, production-fabrication, etc.

Sans innovation, une entreprise est vouée à disparaître. Pour inventer, il est nécessaire de rompre avec les idées reçues, les préjugés, les schémas antérieurs et les conventions d’un marché. Il est nécessaire de remplacer les règles du jeu par moins de règle et plus de jeu (je).

Les innovateurs audacieux sont les jeunes de 15 à 25 ans, les étudiants et les artistes, qui considèrent l’innovation comme un plaisir et l’invention comme un jeu. Il est vital de maintenir l’entreprise en éveil en encourageant la liberté de pensée et la prise d’initiatives…

 

 

La mercatique européenne n’a rien à envier au « marketing » essoufflé de la vieille Amérique (les USA), qui considère encore les relations humaines sur un modèle guerrier de conquête et de domination. La culture européenne, en plein renouvellement depuis la chute du mur de Berlin et l’entrée dans la post-modernité ludique et tribale, dispose de toutes les ressources nécessaires au renouvellement de l’organisation des entreprises et de leur management. Le marchéage élargi de la marque, considérée comme une mythologie créative en permanente évolution, est une contribution à ce renouvellement, qui devrait favoriser la souplesse, la fluidité, le mouvement.

La question reste de comprendre pourquoi les entreprises sont encore si rares à oser s’y risquer et pourquoi la formation professionnelle ou l’enseignement universitaire sont encore si réticents à laisser derrière eux des concepts éculés (telle l’irréaliste « fidélisation »), pour inventer dès aujourd’hui l’entreprise de demain.

Sera-t-elle une entreprise à visage humain ? C’est ce que nous appelons de nos vœux. La mercatique sensorielle pourrait largement y contribuer…

 

 

 

Saverio Tomasella

© CEM, 2004