La dynamique de la marque et son évolution dans le temps

 

 

Modèle sphérique trivalent de l'identité de la marque [1]


Décomposition du modèle en quatre phases principales

 

1/ Création de la marque, t1 :

 

En élaborant sa première offre (produit, service et communication) l'entreprise fonde l'émergence de la marque sur un système de croyances implicites et explicites (vision, mission, projet), liés au(x) créateur(s) et au contexte. Un certain nombre de facteurs distinctifs vont définir l'identité de la marque lors de sa rencontre avec le marché (demande) : quelques identifiants fondateurs se précisent du fait de cette interaction. C'est la naissance du noyau de la marque.


Il est important de préciser que l'identité d'une marque n'est pas le seul fait de la volonté des femmes et des hommes du marketing, ou de la direction générale d'une entreprise. L'identité d'une marque est la résultante, incertaine et imprévisible, de la rencontre entre l'offre de l'entreprise et la demande du secteur ; cette offre et cette demande sont aussi des expressions culturelles et sociales, autant immatérielles que matérielles.

 

         Aussi, la mythologie d'une marque repose sur la relation interactive entre les client(e)s et la marque : elle échappe au contrôle des managers. C'est ce phénomène interactif qui fonde la Capacité Evolutive de la Marque.

 

 

         A chaque étape du développement de la marque, nous verrons que les facteurs d'évolution sont, pour une part, endogènes, et, pour une autre, exogènes. Cette distinction est précieuse tout au long du processus.

 

 

2/ La marque prend position sur le marché, t2 :

 

Le lancement d'une nouvelle offre, avec une signature inconnue jusqu'alors, représente un essai. Lorsque ce premier essai est accepté par le marché, la marque confirme sa présence comme acteur du secteur, un acteur dont il conviendra désormais de tenir compte. La marque prend position.

 

         Cette question de la prise de position est bien différente du positionnement. Toute offre marchande nécessite le choix d'un positionnement souhaité, pour son entrée en lice au côté des offres concurrentes. On sait que le positionnement réel, perçu par les consommateurs, peut être différent, et que la réduction de cet écart est une des tâches majeures du responsable marketing.

 

         Lors de cette étape de son évolution, la marque peut voir son identité enrichie d'identifiants réflecteurs, de deux façons :

 

§         Par un mouvement endogène : la marque commence à s'étendre en proposant des produits et services annexes, ou liés à l'offre initiale.

 

§         Par un mouvement exogène : la marque intègre des évolutions sociales récentes, qui lui semblent aller dans le sens de son système de croyances.

 


3/ La marque participe au devenir du secteur, t3 :

 

         Après avoir pris position pour se différencier de ses concurrents et assurer sa visibilité sur le marché, la marque voit évoluer son système de croyances, qui est la source des identifiants organisateurs (charnière ou articulation). La vision du monde, que l'entreprise soutient à travers sa marque, se précise. L'idée qu'elle se fait de son rôle sur le marché (sa mission) devient de plus en plus concrète. Son projet économique s'affirme, y compris dans ses répercutions culturelles.

 

         Lors de cette phase, la marque développe une forme plus souple et plus complexe, dans un mouvement d'ajustements plus rapides au secteur. Elle est désormais acceptée et reconnue, comme participant du même métier que ses concurrents ; comme étant, elle aussi, conjointement, responsable de son devenir.

 

         C'est le stade de maturité. Même si les facteurs exogènes et endogènes restent aussi présents que lors des trois premières phases, il s'agit ici d'un ajustement entre les différents sous systèmes de l'identité de la marque. Encore une fois, ce processus peut s'effectuer, dans un premier temps, à l'insu des équipes marketing. Ce n'est qu'après une étude sur la perception de la marque par ses client(e)s, actuels ou potentiels, que l'équipe marketing prendra la mesure de cette évolution. L'utilisation du Diamant sensoriel ® peut être utile dans ce cas.

 

         Certains identifiants périphériques, auparavant liés à des évolutions récentes de la société, correspondent aujourd'hui à des valeurs largement partagées, qui représentent clairement les activités et les enjeux du secteur : ces identifiants glissent alors vers une fonction organisatrice et font peu à peu partie de l'articulation.

 

         D'autres identifiants, relatifs à une extension précédente, sont désormais associés intrinsèquement à l'identité de la marque et rejoignent le noyau.


         Les glissements de ces identifiants se font pas à pas : ils transitent par une ou deux couches intermédiaires :

-          la première est un système passerelle vers la face interne de la même sphère ;

-          la seconde est un système passerelle vers la face externe de la sphère antérieure.

 

Il s'agit d'un processus progressif d'intériorisation.

 

 

         On voit ainsi se dessiner un système beaucoup plus complexe, de sept sphères, au lieu des trois principales :

 

à      chaque sphère correspond à un sous système ayant une fonction principale : fondation, articulation, réflexion ;

 

à      la sphère externe (périphérie) est constituée de trois couches : une zone centrale, un système passerelle externe, dont la force est centripète (aspiration de l'environnement vers la marque), un système passerelle interne, dont les forces sont à la fois centrifuges (résorption) et centripètes (absorption) ;

 

à      la sphère médiane (charnière) est également constituée de trois couches ; leur ordre est inversé : une zone centrale, un système passerelle externe, dont les forces sont à la fois centripètes et centrifuges, et un système passerelle interne, dont la force est centrifuge au système entier (expulsion vers le noyau) ;

 

à      la sphère interne (noyau) est constituée d'un cœur et d'une zone de passage, dont la force est centripète (attraction et assimilation) ;

 

à      les zones de passages ou systèmes passerelles assurent une fonction de transport des éléments d'un sous ensemble vers un autre et de filtre (ne traversent la passerelle que les identifiants dont la polarité est en voie de mutation vers la fonction de la sphère voisine) ;

 

à      chaque zone centrale de chaque sous système joue à terme un rôle de transformation des polarités de ces mêmes éléments : par exemple, lors d'un processus complet, néanmoins assez rare, les valeurs culturelles sont d'abord transformées en identifiants réflecteurs, eux-mêmes transformés ensuite en identifiants organisateurs, ceux-ci enfin pouvant devenir fondateurs.

 

 

5/ Renouveau de la marque

 

         A ce stade, le cycle peut recommencer, non pas ex nihilo, comme au début, mais en s'appuyant sur l'histoire de la marque. Il s'agit souvent, pour les équipes marketing et communication, de redonner du souffle à une marque qui se repose sur ses acquis et finit par ne plus exercer suffisamment d'attraction pour ses clientes et ses clients.

 

         Bien évidemment, il n'est pas inutile de préciser, encore une fois, qu'il s'agit de phénomènes incertains. Quels que soient les efforts, parfois acharnés, de l'être humain pour tenter de maîtriser les tenants et les aboutissants de ce long cycle d'évolution de la marque, il lui est impossible de tout prévoir et de tout contrôler : certains aspects échappent sans cesse à sa raison.

 

         Ainsi, l'entreprise remet sur le métier cet ouvrage qu'est la marque, pour que la relation particulière qu'entretient avec elle chaque consommateur puisse de nouveau être suffisamment motivante. Dans le cas contraire, elle stagne ou s'éteint ; car, comme les civilisations, les marques aussi sont mortelles…

 


 

 

 

Vie culturelle intérieure

 

 

Pour corroborer et expliciter le développement précédent, nous pouvons nous appuyer sur les correspondances entre la représentation sphérique de la marque et la représentation de la vie culturelle intérieure.

 

 

Les recherches en motricité corporelle[2] aboutissent à la constatation que le corps est organisé selon un ensemble de sphères qui s’emboîtent les unes dans les autres, et dont l’ajustement souple assure la diversité des postures et la fluidité des mouvements.

 

Par ailleurs, Devereux et Nathan, à travers la clinique ethnopsychiatrique[3], soutiennent l’idée d’une équivalence entre culture et vie intérieure (abusivement rendue par le terme « psychologie »). Cette conception conforte l’analogie que nous faisons entre les faits culturels que constituent les marques contemporaines et les manifestations culturelles de l’être social qu’est l’humain.

 

De surcroît, lorsque l’on se penche sur le fonctionnement personnel de l’être humain, il est fréquent de distinguer trois sphères, liées entre elles[4] : la sphère sensorielle, la sphère émotionnelle et la sphère relationnelle ; de la plus intime à la plus extime. Elles correspondent ici aux trois principales sphères de l’identité de la marque : noyau (identifiants fondateurs), charnière (identifiants organisateurs) et périphérie (identifiants réflecteurs).

 

Enfin, les récents travaux sur l’image[5] lui confèrent un rôle métabolique essentiel de vecteur et de catalyseur de l’information (transport, filtrage et transformation)[6]. Les images assurent le passage entre les trois sphères personnelles : sensorielle, émotionnelle et relationnelle, autant qu’elles médiatisent les échanges culturels avec les autres individus et les groupes sociaux.

 

En conséquence, nous pouvons représenter la vie culturelle d’un être humain selon un « système » dynamique et sphérique à sept dimensions, dont trois zones principales :

-         L’espace interne, sensible, correspond à la zone réceptive (impressions), aux ressentis, à la perception et à la contemplation. Il comprend la sphère de la sensation (1) et celle du sentiment (2).

 

-         L’espace médiant correspond à la zone des ajustements intérieurs, de la conscience et de l’intention. Il est constitué des sphères intermédiaires de l’image (i). L’intention est mise en mouvement grâce à une représentation métaphorique : une image ou un ensemble d’images.

 

-         L’espace externe correspond à la zone émettrice (expressions), au sens (orientation et signification) et à l’action (mise en œuvre). Il comprend la sphère de la motricité (3) et celle de la parole (4).

 

-         Au-delà de ce système sphérique complexe à sept dimensions, il est possible de repérer une couche immatérielle, constituée d’images partagées avec l’environnement inter-culturel, qui serait le rayonnement de la personne, son aura ou son style, que nous avons choisi d’appeler son « esprit » (e). Cette fonction assure l’accordage avec le contexte ; elle est aussi du domaine de la pensée personnelle.

 

Voici le schéma qui en découle :

Voir S. Tomasella, Vers une psychanalyse de la marque et de ses expressions, Nice, UNSA, 2002.

Saverio Tomasella, © CEM 2003

 

 



[1] S. Tomasella, Vers une psychanalyse de la marque et de ses expressions, Nice, UNSA, 2002.

[2]  M. M. Beziers et S. Piret, La coordination motrice, Paris, Masson, 1973. S. Robert Ouvray, Intégration motrice et développement psychique, Paris, Desclée de Brouwer, 1995.

[3] G. Devereux, Essais d’ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1970 et 1983. T. Nathan, Psychanalyse païenne, essais ethnopsychanalytiques, Paris, Dunod, 1988.

[4] S. Robert Ouvray, Mal élevé, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.

[5] S. Tisseron, Les bienfaits des images, Paris, Odile Jacob, 2002.

[6] Nous entendons image au sens proprioceptif de reflet interne et subjectif, non pas au sens restreint et réducteur de ce que renvoie la surface du miroir. Voir S. Tomasella, op. cit., 2002.